CAMISOLE DE FRANCE
2022 voit se coïncider les 60 ans de l’indépendance algérienne et une année de débats présidentiels dictés par un natio-nalisme et un racisme ancrés dans notre histoire. Dans ce contexte, CAMISOLE DE FRANCE est un cycle d’expositions, projections, rencontres, qui se déroulera jusqu’à l’automne 2022 dans plusieurs lieux à Toulouse et à proximité : Blauer Montag, IPN, La Cave Poésie, La Maison Salvan, Lieu-Commun et Trois‿a. En s’intéressant à la singularité des œuvres, CAMISOLE DE FRANCE tente de rendre compte à même l’art de conflits politiques passés et présents, en particulier la guerre d'Algérie.
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01/04/2022 > 16/04/2022
Étienne Cliquet, CAMISOLE DE FRANCE
Trois‿a, 3A rue de Turin, Toulouse



Depuis une dizaine d’années, Étienne Cliquet a recours à la pratique du pliage pour évoquer des problématiques cultu-relles, sociales ou politiques. Pour cette exposition, c’est de la relation de la France à l’Algérie dont il est question : en Algérie, la France institua la torture et le supplice — deux termes dont l’étymologie renvoie au fait de tordre (de douleur) et de plier (les genoux en suppliant).

Voir l'archive de l'exposition.


13/04/2022 : 18H30
Projection et arpentage (lecture collective)
IPN, 30 Rue des Jumeaux, Toulouse



Marwa Arsanios, Have you ever killed a bear ? or Becoming Jamila, 2014, 25’

Have You Ever Killed a Bear ? or Becoming Jamila est une vidéo réalisée d’après une performance ayant pour point de départ une enquête sur la combattante de la liberté algérienne Jamila Bouhired. La recherche se concentre sur ses différentes représentations au cinéma ainsi que sur sa promotion dans le magazine culturel égyptien Al-Hilal dans les années 1960 et 1970. Marwa Arsanios examine l'histoire socialiste égyptienne et la guerre anticoloniale algérienne, et la manière dont les projets féministes y ont été à la fois promus et marginalisés. En effet, la division des genres utilisée pour marginaliser les femmes dans la sphère publique a été surmontée pendant un court moment lors de la guerre d'indépendance algérienne, dont Jamila Bouhired est devenu une icône. Mais qu’est-ce que cela veut dire d’être une combattante de la liberté ? De devenir une icône ? Comment la constitution du sujet peut-elle servir certains objectifs politiques ?

Djamila Amrane-Minne, Les femmes algériennes dans la guerre, éd. Plon, 1991.

De larges pans de la guerre d’Algérie sont longtemps restés, et demeurent encore, obscurs ou mal connus. Parce que la France n’est pas parvenue à assumer cette guerre dans toutes ses dimensions et que l’Algérie s’est cantonnée dans une histoire officielle. Dans ce livre publié en 1991, Djamila Amrane s’est intéressée à l’un de ces pans alors occulté, à savoir la place des femmes algériennes dans la guerre, en mobilisant à la fois sa formation d’historienne, son expé-rience d’ancienne combattante, ainsi que les souvenirs et témoignages recueillis auprès de nombreuses femmes d’Algérie.


10/06/2022 > 11/06/2022
Louisa Babari, « Histoire(s) »
Blauer Montag, 276 avenue de Muret, Toulouse



Blauer Montag a le plaisir de présenter « Histoire(s) », une projection d'œuvres de Louisa Babari, artiste russo-algérienne basée à Paris.
À travers une pièce sonore (Lecture), un dispositif filmique (Corps à corps) et un diaporama muet composé de clichés d’archive et de photographies personnelles (Journal d’un étudiant algérien à Moscou), cette sélection de travaux de Louisa Babari dessine des allers-retours entre histoire(s) intime(s) et récits officiels.
Le procès de l’héroïne de la bataille d’Alger Djamila Bouhired, les mots de Seloua Luste Boulbina sur les expériences de Franz Fanon en Algérie, les photographies évoquant la vie d’un jeune étudiant algérien dans l’Union soviétique des années 1960, sont autant de récits dévoilant les systèmes de domination fondés sur la hiérarchie raciale, propre au colonialisme et au capitalisme, mais également les traces des utopies (pas entièrement) disparues.


30/09/2022 : 18h30>20h00
Conférence d’Émilie Goudal
« L’histoire nous mord la nuque »
Mémoires de traverse et résonances visuelles de la guerre de décolonisation algérienne.

Trois‿a, 3A rue de Turin, Toulouse



Sujet historique tout autant que politique, la révolution ou guerre d’indépendance algérienne (1954-1962) a été abordée, depuis plus d’un demi-siècle, par de nombreux travaux artistiques (cinéma, littérature, arts plastiques), de son actualité à son historisation problématique.
Reconfigurant la cartographie géopolitique et inscrite dans les mouvements de luttes émancipatrices à l’échelle mon-diale, la décolonisation de l’Algérie dépasse les bornes d’un sujet circonscrit aux espaces algérien et français et a été investie par des artistes internationaux.
L’un d’entre eux, Dennis Adams, entame dès les années quatre-vingt une série d’œuvres (photomontages, vidéos…) dites « série algérienne », renégociant par l’image des reliquats visuels de cette guerre tout autant que les points aveugles et les silences de l’histoire. À l’appui des œuvres et d’entretiens inédits avec l’artiste, il s’agira d’interroger les modalités depuis lesquelles un artiste new-yorkais engage une relecture critique des archives historiques et fictionnelles. Empruntant des chemins de traverse, Adams entremêle dès lors des enjeux de mémoires et politiques liant Alger, Paris et New York. De La Bataille d’Alger aux Black Panthers, soit de la lutte anticoloniale à la critique du racisme en France et aux États-Unis, l’artiste compose de nouveaux réagencements visuels des enjeux de mémoires qui interrogent au présent un espace possible de résistance par l’image.

Historienne de l'art, Émilie Goudal est chercheure associée au CEAC (Université de Lille), lauréate 2022 de la bourse de l’Institut pour la photographie et membre du collectif Globalisation, Art et Prospective (GAP-INHA). Ses travaux s'intéressent aux interpénétrations entre art, socio-histoire, politique et enjeux de mémoire(s) depuis le contexte de la décolonisation. Elle est l’autrice du livre Des damné(e)s de l'Histoire – Les arts visuels face à la guerre d'Algérie, Les Presses du réel, 2019.


01/10/2022 : 16h00>18h00
Hamid Smaha, Les Traces et l’oubli, 1998, 52’
Projection du film suivie d’une rencontre avec le réalisateur et Émilie Goudal
La Cave Poésie, 71 Rue du Taur, Toulouse



Ce documentaire revient sur l’engagement des artistes contre la Guerre d’Algérie. C’est un fragment oublié de la « Guerre sans nom ». En surgissant violemment dans le paysage orientaliste, l’insurrection algérienne de 1954 fait éclater la vision coloniale de l’Algérie. Retenant la leçon de Goya et de Guernica, les artistes expriment dans des formes les plus variées le bouleversement des consciences que les horreurs de la guerre coloniale provoquent. De la dénon-ciation des massacres et de la torture à l’appel à l’insou-mission du Manifeste des 121, les artistes révoltés sont de ces combats, individuellement ou par l’agit-prop collectif. Que reste-t-il dans les mémoires de ce moment de l’histoire de l’art ? Le film fait alterner les faits saillants de cette période, les images d’archives, la vision des œuvres et les entretiens avec des témoins essentiels : l’écrivain Henri Alleg, auteur de La Question, l’historien Pierre Vidal-Naquet, l’historien de l’art Pierre Gaudibert, les artistes Abdallah Benanteur, Jean-Pierre Jouffroy, Jean-Jacques Lebel, et le musicien Diego Masson.


04/10/2022 : 19h30>20h30
Le procès Jeanson — Lecture à plusieurs voix
par Louise Duermael, Kenza El Bakkali, Lilas Pigois, Iris Rakotonandrasana, Vanille Romanetti & Gilles Fossier

La Cave Poésie, 71 Rue du Taur, Toulouse

« Février 1960, l'affaire du réseau Jeanson éclate à Paris et l'opinion française découvre avec effarement l'existence d'un groupe d'intellectuels, de comédiens et de gens des médias portant assistance à l'insurrection algérienne. Quelques mois plus tôt, en septembre 1959. le général de Gaulle a prononcé pour la première fois à la télévision le mot "auto-détermination" : sécession ? association ? les Algériens ont désormais le choix de leur destin, le chef de l'État s'y est engagé. Pourtant, alors que l'indépendance est devenue une voie autorisée par le président, les membres du FLN et les Français qui les aident en métropole continuent d'être perçus, les uns comme des terroristes, les autres comme des traîtres, et sont poursuivis en justice. L'action de ces hommes en révolte est-elle criminelle ou bien constitue-t-elle un combat politique, une lutte pour une juste cause dont la légitimité est reconnue par le pouvoir central ? C'est toute l'ambiguïté que révèle le procès, où les partisans de l'indé-pendance algérienne comparaissent sous l'accusation com-mune d'atteinte à la sûreté de l'État. Cette ambiguïté, la défense — offensive — ne manquera pas de la dénoncer à travers une stratégie audacieuse qui met l'institution judi-ciaire face à ses propres contradictions [...]. »
(Stéphanie de Saint-Marc, Les Grands procès du XXe siècle, éditions Robert Laffont, 2016.)


25/11/2022 > 26/11/2022
Camisole de France / Mois du doc
Lieu-commun, artist run space
25 Rue d'Armagnac, Toulouse



25 novembre à 18h - Identités
- Zoulikha Bouabdellah, Dansons, 2003, 6'
- Dominique Cabrera, Rester là-bas, 1992, 47'
- Elisabeth Leuvrey, La Traversée, 2006, 72'
- Dennis Adams, Black Belmondo, 2008, 2' (boucle)

25 novembre à 21h - Identités (suite)
- Soufiane Adel, Go forth, 2014, 62'

26 novembre à 18h - Histoires
- Olga Baïdar-Poliakoff et Yann Le Masson, avec René Vautier, J'ai huit an, 1961, 9'
- Dorian·e Geneste-Loupiac, Qui ose remplacr le soleil ?, 2020-2021, 17'
- Hassan Bouabdellah, Barberousse, mes soeurs, 1985, 62'
- Carole Roussopoulos, Le Juge et les immigrés, 1980, 30'

26 novembre à 20h30 - conférence-projection par Nabil Djedouani, "Archives numériques du cinéma algérien".

Plus de détails sur le contenu de la programmation sur le site du Mois du doc.


CAMISOLE DE FRANCE


En 2022, la République Française louche sur 1962, date de la fin de la guerre d'Algérie. Cet anniversaire coïncide étran-gement avec la campagne présidentielle : un précipité de nationalisme où la citoyenneté et l'idéal de peuple souverain s’accordent avec des discours identitaires et un racisme décomplexé. Violences policières, justice d'exception, chasse aux étrangers, aux migrants et aux pauvres, regain des thèmes sécuritaires dans une presse à gros sous : ces quelques ingrédients semblent resurgir des crimes du passé colonial français, dont les méthodes ont été peu à peu recyclées dans la société civile pour structurer la politique, le travail, la police et la presse. Dans ce contexte, les gestes du gouvernement actuel envers l'Algérie se multiplient et se contredisent tant ils sont pris dans des intérêts éco-nomiques qui tentent de ménager le nouveau président Abdelmadjid Tebboune en même temps que la société civile du Hirak.
Deux des candidats d'extrême droite qui prétendent diriger le pays ont un lien avec le passé de la guerre d'Algérie. Ils sont aujourd'hui les influenceurs de la campagne prési-dentielle et leur nationalisme infuse jusqu'à une partie de la gauche. La première a repris le parti de son père, qui a pratiqué la torture lorsqu'il était chef de section du 1er régiment étranger de parachutistes en Algérie. Le second, issu d'une famille juive d'Algérie, défend les bienfaits de la colonisation française, pétri de thèses racistes héritées de la théorie du « primitivisme » fondée par Antoine Porot, Jean Sutter et d'autres au sein de l'École psychiatrique d'Alger dans les années 1930 et postulant une soi-disant différen-ciation biologique entre « l’indigène nord-africain » et « l’hom-me occidental évolué ».

CAMISOLE DE FRANCE traduit une situation de repliement suicidaire qui n'est pas le problème de l'Algérie contem-poraine mais de l'hexagone aujourd'hui, en prise avec une forme de délire. L'expression « Camisole de France » surgit au détour du récent documentaire de Mehdi Lallaoui (Sur les traces de Frantz Fanon, 2021) dans un lapsus d'Alice Cherki, psychiatre, psychanalyste, essayiste, interne auprès de Frantz Fanon à l'hôpital psychiatrique de Blida-Joinville où il prend ses fonctions en 1953. À la vingt-quatrième minute du documentaire, Alice Cherki prononce l'expression « camisole de France » au lieu de « camisole de force » pour rappeler les sévices qu'infligent les psychiatres de « l'école d'Alger » aux patients de l’hôpital.

Ce qui nous mobilise dans la situation actuelle n'est pas une théorie unique contre la colonisation ou le nationalisme, au sein de laquelle nous serions installés et unis. En s'intéressant avant tout à la singularité d'œuvres et à des artistes, des années 1950 à aujourd'hui, d'un côté ou de l'autre de la Méditerranée, d'ici ou d'ailleurs, CAMISOLE DE FRANCE tente de traverser ce moment glauque de glori-fication du chef d'une Ve République née en pleine guerre d'Algérie. Selon cette perspective, CAMISOLE DE FRANCE rend compte d'une conflictualité à même l'art et rencontre des conflits politiques sous-jacents à la politique coloniale française, en particulier la guerre d'Algérie.
Dans une ville comme Toulouse, où les voix bourgeoises et réactionnaires l’emportent, la création contemporaine est réduite à peau de chagrin. Dans ce contexte, une cohorte de lieux déterminés organisent des expositions, des projections et des lectures pour tenter de se défaire de la logique de la violence inhérente à cette camisole de France.

E. C.



Programmation : Étienne Cliquet, Jérôme Dupeyrat, Julie Martin et les lieux associés

Coordination : Trois‿a

Remerciements : Marwa Arsanios, Louisa Babari, Sabah Benzemmouri, Philippe Charpentier, Audrey Douanne, Abdessamad El Montassir, Laura Freeth, Émilie Goudal, Katia Kameli, Stefania Meazza, Manuel Pomar, Hamid Smaha, Paul de Sorbier, Yann Valade